Dans ce nouvel épisode de la mode démodée, on s’attaque à un sujet ô combien crucial : la pollution des eaux due à la mode. De la production à l’entretien de vos vêtements, pourquoi retrouvez-vous du plastique dans vos sushis et dans votre corps ? Quelles sont les matières et produits à privilégier ? Existe-t-il des solutions ?
Cet article n’est pas là pour vous déprimer, mais avant tout pour éveiller les consciences et créer de nouvelles exigences en faveur d’une mode raisonnée.
On peut lire que l’industrie de la mode représenterait entre 17% et 20% de la pollution industrielle des eaux, même si ce chiffre ne fait pas l’unanimité. On ne peut néanmoins pas contester le fait qu’elle y participe activement. Pour vous le démontrer, on vous explique dans cet article comment chaque étape du cycle de vie d’un vêtement peut contribuer à la pollution des eaux. Bonne lecture !
Il était une fois la matière première
On estime qu’environ 2/3 des fibres textiles sont synthétiques et que le polyester représenterait 70% d’entre elles, ce qui est en fait la fibre textile la plus utilisée. Je pense qu’on ne vous apprend rien en vous disant que le polyester est produit à base de pétrole que l’on mélange avec des produits chimiques aux noms barbares. Une fois la fibre produite, il faut bien évidemment éliminer les résidus chimiques en la lavant, mais qui dit lavage dit pollution de l’eau si les eaux usées ne sont pas traitées. Et sachant que les principaux producteurs se trouvent en Asie (Chine, Inde, Indonésie, Japon)… On note tout de même que le 1er producteur, la Chine, a pris conscience de ce danger environmental et a ouvert l’année dernière la plus grande installation au monde du traitement des eaux usées.
Regardons maintenant l’autre fibre star du textile: le coton (ndlr : comme il s’agit là de la matière naturelle que l’on utilise le plus chez Paname Collections, il aura le droit à un article dédié très prochainement) !
Selon WWF, il faut 2700 L d’eau pour faire un t-shirt en coton. Encore un chiffre tape à l’œil qui ne fait forcément pas la différence entre l’eau de pluie et « l’eau consommative » (irrigation…), entre le coton bio et le coton conventionnel…
Néanmoins, la culture du coton pose effectivement un premier problème lorsqu’elle est faite dans des climats secs. 50% des champs de coton requièrent un système d’irrigation (source : Common Objective), ce qui se fait au détriment des besoins primaires des populations locales et de la nature. L’exemple le plus médiatique est celui de la mer d’Aral dont il ne reste plus que 10% de la surface et dont l’eau a principalement été utilisée pour faire pousser… du coton et du blé. Une mode raisonnée voudrait donc en théorie que l’on ne cultive du coton que dans des zones humides et sur des terres naturellement irriguées.
Le coton poserait un second problème lorsqu’il est qualifié de conventionnel (non bio). En effet et même si cela peut paraître contre-intuitif, on ferait avec du coton bio une économie d’environ 91% d’eau… Comment cela s’explique-t-il ?
La raison est simple : la culture du coton dit conventionnel utilise beaucoup de pesticides (16% des insecticides dans le monde) qui finissent naturellement par polluer les sols et les nappes phréatiques. Comme pour le polyester, il faut ensuite le laver pour le débarrasser de ces substances chimiques, ce qui nécessite une grande quantité d’eau. C’est ce qui explique cette énorme différence de consommation d’eau entre le bio et le conventionnel. Et ce n’est pas fini : cette eau polluée qui a servi à nettoyer le coton de ses substances chimiques risque souvent de se retrouver dans la nature si elle n’est pas traitée…
Il était une fois la production
La seconde étape consommatrice d’eau est la teinture et le traitement des fibres / tissus pour les stabiliser, les adoucir… Sans rentrer dans les détails, on utilise pour cela des produits chimiques et de l’eau. On ne sait pas qui a raison : certains disent qu’il faut 150 L d’eau pour teindre 1kg de textile, d’autres parlent de 60 L… Bref c’est énorme, surtout si les eaux usées ne sont pas traitées. Selon l’ONU, 80% à 90% ne le seraient pas dans les pays en voie de développement.
Si vous voulez en savoir davantage, on vous conseille cet article de CNN sur la manière catastrophique dont travaille l’industrie textile au Bangladesh. Produits chimiques et métaux lourds se retrouvent dans l’eau, parfois au contact même des habitants lorsque la mousson engendre des inondations… Ces produits toxiques finissent au choix :
- dans la mer, empêchant la photosynthèse et la production d’oxygène dans l’eau ce qui tue les plantes et les animaux
- dans les champs, ce qui favorise les cancers et maladies de la peau
- dans les fruits, les légumes et l’eau potable…
Selon l’article, des changements sont en cours… On l’espère de tout cœur !
Heureusement pour nous, lorsque nous faisons produire dans des pays avec des lois plus strictes en matière d’environnement (UE, USA, Canada…), les eaux usées sont en principe traitées et l’utilisation des produits chimiques et métaux lourds est très encadrée.
L’Union Européenne a implémenté la réglementation REACH qui permet 1) de contrôler les substances chimiques utilisées pour tout un tas d’industrie afin de s’assurer qu’elles ne soient ni nocives pour l’environnement, ni pour la santé, 2) qu’un traitement des eaux usées soit mis en place…
Même s’il existe des tricheurs, les marques peuvent décider d’aller plus loin en ne travaillant qu’avec des ateliers certifiés Oeko Tex pour la teinture, ce qui apporte une garantie supplémentaire car ce label interdit encore davantage de substances dangereuses.
Des raisons d’être optimiste
Après toutes ces mauvaises nouvelles, il y a tout de même des raisons d’être optimiste ! En effet, il existe de plus en plus de nouvelles technologies éco-responsables. A titre d’exemple, on peut délaver proprement des jeans au laser, DyeCoo a développé une technologie de teinture au CO2 sans eau ni produits chimiques… Il ne reste plus qu’à espérer que ces technologies se démocratisent rapidement.
A votre tour maintenant !
A chaque fois que vous lavez des vêtements contenant du polyester, vous relâchez des centaines de milliers (voire des millions) de microfibres plastiques. Selon la fondation Ellen McArthur, c’est ainsi que sont rejetées 500,000 tonnes de ces microfibres non biodégradables dans nos eaux, soit l’équivalent de 50 milliards de bouteilles en plastique.
Ce plastique est ensuite mangé par des petits organismes aquatiques et remontent ainsi la chaîne alimentaire pour terminer dans vos sushis, aux côtés des autres métaux lourds et substances chimiques qui finissent dans les océans (regardez Seaspiracy sur Netflix si ce n’est pas déjà fait pour plus d’explications), et donc dans votre corps. La mode participe donc aux 5 grammes de plastique qu’un humain consommerait chaque semaine.
A-t-on des raisons d’être encore optimiste ?
On l’espère même si la fin du polyester n’est pas pour demain ! Filtrer les eaux usées comme c’est le cas en Amérique du Nord et en Europe permettrait de récupérer une grosse partie de ces microfibres (jusqu’à 95% ?).
Cocorico ! La France a décidé d’aller plus loin en imposant aux fabricants de lave-linge de les équiper de filtres à microfibres plastiques !
On insiste mais le but de nos articles sur la Mode Démodée n’est pas de vous flinguer le moral, mais d’éveiller les consciences sur les problèmes que la mode rencontre et les solutions existantes. Alors que pouvez-vous faire dès aujourd’hui en tant que consommateur pour limiter votre contribution à la pollution des eaux ?
Comme pour réduire votre empreinte carbone liée à votre consommation de vêtements, les gestes restent similaires et relèvent du bon sens. On vous explique pourquoi !
- Privilégiez les matières bios et peu consommatrices d’eau (lin…).
- Evitez d’acheter des vêtements faits à l’autre bout du monde dans des pays aux législations plus laxistes même si on vous fait croire que tout est clean. Dans le doute, faites davantage confiance aux labels sérieux (GOTS, Oeko Tex…)… Les marques maîtrisent mal leur supply chain et certaines n’ont aucun scrupule à maquiller la vérité à coup de faux labels et d’arguments marketing trompeurs. On doute qu’elles soient présentes dans leurs ateliers à chaque étape de transformation pour vérifier que les eaux usées soient traitées et que les employés ne soient pas exposés à des substances toxiques. Gardez par exemple en tête que dans les pays en voie de développement, seulement 10% à 20% des eaux usées seraient traitées selon l’ONU.
- Boycottez le plus possible les matières plastiques (polyester, polyamide…) même si elles sont recyclées. Lisez attentivement les étiquettes de composition. Si vous ne comprenez pas ce que vous achetez, méfiez-vous. Quand c’est flou, il y a un loup.
- Quand vous faites du sport, portez un tshirt léger en coton. Vous verrez, il sentira moins après l’effort que votre maillot de foot en matières synthétiques. Mais si vous ne pouvez pas vous passer de ce dernier, il existe en théorie quelques solutions pour limiter les dégâts. Les plus souvent citées sont l’installation d’un filtre comme celui-ci ou le lavage des vêtements dans un sac comme celui de guppyfriend.
- Pour le lavage, vous pouvez continuer de suivre les conseils que l’on vous prodigue depuis quelques années : privilégiez un lavage à 30°C, une machine bien remplie, un essorage faible pour ne pas casser les fibres textiles et le séchage à l’air libre. Ca sera toujours ça en moins dans nos eaux !
- Last but not least, on vous conseille de laver une première fois vos vêtements pour éliminer les éventuels résidus de produits chimiques sur vos vêtements neufs.
La suite ?
Même si vous allez nous rétorquer que l’on se jette des fleurs, cette étude nous montre à nouveau que l’on a eu raison depuis le lancement de Paname Collections de suivre notre intuition / bon sens en travaillant avec des pays membres de l’UE et en privilégiant les matières naturelles si possible bios :
- Pour nos pulls en laine (cols ronds, cols roulés…), on travaille avec Tollegno 1900 qui a investi dans des panneaux photovoltaïques et des machines pour traiter ses eaux usées et en réutiliser une partie (40%)
- Notre atelier de sweatshirts et tshirts au Portugal nous a toujours dit qu’il ne travaillait qu’avec des teintureries certifiées Oeko Tex. On se disait tant mieux au début sans trop savoir pourquoi. Maintenant, on les remercie car on comprend encore mieux les enjeux !
Si les années 2010 ont marqué l’émergence de marques qui prônent la transparence des coûts comme Everlane pour citer la plus célèbre d’entre elles, on espère que les années 2020 seront marquées avant tout par les marques qui prônent la transparence dans leur supply chain car c’est là que se situent les enjeux de demain si on veut de notre vivant arrêter de manger l’équivalent d’un cintre en plastique par mois !
Si vous voulez mieux manger, habillez-vous mieux !
Si vous n’êtes pas d’accord, si vous avez des commentaires, des précisions à apporter, des suggestions ou des encouragements… n’hésitez surtout pas à nous les envoyer à adrien@panamecollections.com !
Prochain article: les déchets et le recyclage dans la mode.
Sources :
WWF : https://www.worldwildlife.org/stories/the-impact-of-a-cotton-t-shirt
Common Objective : https://www.commonobjective.co/article/the-issues-water
National Geographic : https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2014/10/disparition-de-la-mer-daral-les-causes-dun-desastre-ecologique
Textile Exchange : https://store.textileexchange.org/product/2017-organic-cotton-market-report/
Environmental Justice Foundation : https://ejfoundation.org/resources/downloads/the_deadly_chemicals_in_cotton.pdf
Forbes : https://www.forbes.com/sites/mikescott/2020/09/19/out-of-fashionthe-hidden-cost-of-clothing-is-a-water-pollution-crisis/?sh=62e4bfd5589c
CNN : https://edition.cnn.com/style/article/dyeing-pollution-fashion-intl-hnk-dst-sept/index.html
Le Monde : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/05/21/au-moins-654-entreprises-ne-respectent-pas-la-reglementation-sur-les-substances-chimiques_5464730_3244.html